Ingénieur Système
Avertissement : Le document original n'est pas de moi. Je ne sais qui a commencé à l'écrire, mais j'espère qu'il (ou elle) me pardonnera de me l'être approprié et de l'avoir modifié et complété à ma façon...
Ce texte est, bien évidemment, à prendre au second degré (voire plus). Que Microsoft(r) et les autres Sociétés visées par ce pamphlet me pardonnent pour cet humour acide et souvent décalé.
Ingénieur Système. Je sais, je ne devrais pas m'en vanter. Lorsqu'on me demande quel est mon métier, il m'arrive de plus en plus souvent de répondre "je suis dans l'informatique". Cette vague formulation a au moins le mérite de m'éviter la lueur de haine méprisante qui apparaît instantanément dans l'œil de l'interlocuteur le mieux disposé, au simple énoncé de mes coupables occupations. Je suis lâche. La prochaine fois, je répondrai « tueur à gages », le relâchement des mœurs étant ce qu'il est, cela devrait moins choquer.
Pourtant, c'est un métier gratifiant à bien des points de vue. C'est vraisemblablement le seul où le néophyte total, celui qui vient d'ouvrir son premier carton d'ordinateur, se sent en mesure de vous expliquer votre métier dans le quart d'heure qui suit le montage de sa bécane. A ma connaissance, conduire une voiture ne transforme personne en mécanicien, pas plus que raboter une porte ne fait de vous un ébéniste. Mais, taper sur un clavier, fait de tout un chacun un informaticien... On n'arrête pas le progrès !
N'allez surtout pas croire que je veux garder pour moi les clés du savoir, et en tenir éloigné le vulgum. Que je regrette le temps où les ingénieurs système détenaient le pouvoir, abrités derrière leurs incantations absconses... Que nenni ! Bien au contraire, étant d'un naturel assez paresseux, je préfère de très loin un utilisateur qui se débrouille sans moi. Mais je reste persuadé qu'informaticien, c'est aussi un métier.
Par contre, je regrette - parfois - le temps où le travail consistait à surveiller un Vax, ceux qui ont connu cela savent à quel point c'était reposant, ou alors à rebooter une station Unix tous les trente-six du mois, pour justifier son existence. Avec l'arrivée des PC, et surtout de Windows, nous sommes entrés de plain-pied dans ce que l'on pourrait appeler l'ère du Millennium, c'est à dire l'irruption de l'irrationnel dans ce qu'il a de plus poétique et de moins maîtrisable, au beau milieu d'un monde jusque là bien tenu. En vertu d'un darwinisme élémentaire, il a bien fallu s'adapter… Aujourd'hui être IS dans notre monde merveilleux, c'est être un hybride monstrueux : un mélange aussi subtil qu'indéfinissable de guru, de sorcier, de devin, de shaman, de charlatan et de psychopathe serein.
Je ne remercierai jamais assez Bill Gates, pour avoir transformé un métier relativement terne et basé sur une approche bêtement technique et rigoureuse des faits en challenge quotidien, nécessitant une remise en question permanente à l'échelle du quart d'heure. Quoi de plus stimulant de savoir que résoudre un problème ne viendra en aucune façon enrichir ce qu'il est convenu d'appeler l'expérience, puisque le même problème nécessitera, lorsqu'il se posera à nouveau, une solution radicalement différente. On évite ainsi la sclérose intellectuelle consécutive aux automatismes. Résoudre un problème demande une imagination à côté de laquelle le récit d'un trip sous champignons hallucinogènes pourrait passer pour le compte-rendu de l'assemblée générale des actionnaires de la Société Nouvelle des Transports Interplanétaires Christin. Le cartésianisme n'est pas un atout mais un grave handicap vous empêchant d'aborder les hypothèses les plus farfelues. Pourtant, après avoir éliminé les causes raisonnables de dysfonctionnement, vous en êtes amené à envisager le reste, qui se situe généralement tout de suite entre les histoires de petits lutins et la quatrième dimension. La seule chose que je me refuse encore à pratiquer c'est l'imposition des mains et le voyage à Lourdes, plus par réaction de mécréant iconoclaste que par doute quant à l'efficacité des méthodes en question. Windows 95, 98 et NT sont déjà obsolètes. Windows 2000, Millennium et 2002 alias XP (expie ?) périmés, avant même qu’ils n’aient étés complètement finalisés et deviennent opérationnels. Je sens qu'avec l'arrivée de Windows Server 2003 - dit XS (dire excès) et de Windows Vista (dit "666") - il va me falloir opérer une révision déchirante quant à mes convictions profondes.
Quand je pense que certains recherchent les paradis artificiels, et que l'on me payait pour être en état perpétuel d'hallucination. La vie est bien injuste, allez.
Tout cela serait finalement bien monotone s'il n'y avait l'utilisateur, car il existe l'utilisateur : c'est vous et moi. Victime d'une intoxication à l'échelle planétaire, d'un gigantesque et collectif lavage de cerveau, il s'imagine qu'il va pouvoir tirer quelque chose de sa bécane, être productif, voire même, dans les cas les plus graves, envisager un retour sur investissement.
Aujourd'hui, l'utilisateur, perverti par des slogans pernicieux du style "Jusqu'où irez vous ?", exige que ça marche. Et c'est bien là où tout se gâte, le décalage entre cette légitime attente et ce que l'illuminé de Redmond est capable d'apporter me déprime. Jusqu'où irez vous ? Jusqu'à l'asile le plus proche, sans doute... Comment voulez-vous qu'un truc, qui est à un système d'exploitation ce que Mireille Mathieu est à Edith Piaf, bricolage improbable écrit avec les pieds par une nuée de pervers schizoïdes, puisse fonctionner. Le mensonge le plus grossier, colporté par les sectateurs Microsoftiens, est celui selon lequel un PC convenablement équipé de l'inénarrable Windows et du fourbi Office, dont j'ai oublié le millésime car il change en permanence, fonctionnerait seul et sans assistance.
Le récit d'une journée ordinaire au royaume du Millennium contredit quelque peu cette idyllique vision du meilleur des mondes possibles. Ce doit être une question de numéro de version, sans doute.
Mardi 8 heures trente. Le calme avant la tempête. Je peux, l'esprit en repos, me consacrer à un projet qui me tient à cœur ; programmer une calculette quatre opérations sur un DPS de la série 7000. Je tenterai l'inverse dès que j'aurai mené à bien cette partie. Mais je suis déjà dérangé par une charmante utilisatrice qui voudrait bien un tapis de souris. Ils ne sont pas livrés avec : on les tisse soi même… Ou on les commande au Pakistan, en Iran ou en Afghanistan (à éviter à cette époque).
Une autre personne a des ennuis avec logiciel récalcitrant qui se refuse catégoriquement à éditer des états sur une imprimante fictive. Un « test du singe » s’impose. Il faudra choisir un individu adapté pour cette manipulation.
Une tâche de fond s’est sévèrement vautrée sur un Binary Domain Controller. Diable ! Il faut, une fois encore, réveiller le démon. A éclaircir…
Mardi 9 heures. Un premier coup de téléphone laconique, "Tu peux venir jeter un coup d'œil, mon PC est bloqué". Sous cette apparence anodine, peut se dissimuler le cauchemar le plus absolu. Les raisons qui peuvent amener un PC à se bloquer sont légion, la première étant d'appuyer sur le bouton marche. Je suis d'autant plus inquiet que mon « client » est un dingue de la vitesse. C'est un peu l'équivalent du chauffard ; il parle de bus AGP2 là où les autres parlent de carburateur double corps, mais la démarche est la même : aller le plus vite possible en semant la terreur sur son passage. Profitant d'un instant d'égarement de son chef de service, il a réussi à se faire payer le dernier Pentium VT à 4 GHz, ce qui lui permet de gagner cinq centièmes de seconde sur la mise en pages de sa feuille de calcul. C'est comme on le voit une avancée considérable, à la mesure de l'investissement consenti… Je le trouve un peu déprimé, car on annonce déjà le Pentathlon VII a 10 GHz voire plus, et il contemple avec amertume ce qu'il considère déjà comme l'équivalent d'une caisse à savon. J'essaye de le réconforter en lui disant qu'avec la bête qu'il possède, il devrait éviter d'ouvrir deux fenêtres en même temps, pour ne pas faire de courants d'air. Une boutade bien innocente (c'est le côté guru de la profession), mais je sens bien qu'il n'y croit pas. Les grandes douleurs sont souvent au-delà des mots.
Mais revenons à nos moutons : PC bloqué. Effectivement passé le démarrage tout ce que nous obtenons c'est un sablier désespérément figé. Je suis tenté de répondre que c'est parfait pour faire des œufs a la coque, mais quelque chose dans son air égaré me dit que je ferais aussi bien de me taire. C'est alors que j'envisage du coin de l'œil un CD-ROM offert par PC Truc "Mesurez les performances de votre PC". Eh oui ! Ça ne sert à rien d'aller vite, encore faut-il pouvoir l'exprimer en Business Graphics, WinMark 2005, High-End Disk WinMark et autres CPUMark64. C'est requis, pour humilier, à l'heure du café, les ploucs avec leurs Pentium III. Je lui demande si, par le plus grand des hasards, il n'aurait pas monté ce truc là sur sa machine ? Hélas, je connais la réponse. Il est d'ailleurs mentionné en tout petit sur le CD que l'installation de cette suite de tests devrait être effectuée sur une machine quasi vierge et pas sur un système normalement opérationnel, "cela pouvant provoquer des dysfonctionnements". Tu l'as dit bouffi. Diagnostic : je t'envoie quelqu'un pour te remettre un système d'équerre celui-ci étant parti en villégiature à la campagne, pour une durée indéterminée. Rendez-vous est pris pour la parution du prochain CD de tests de PC Machin. Au suivant.
Mardi 10 heures. Juste le temps de constater le plantage d'un serveur NT. Quelqu'un a vraisemblablement éternué devant. C'est très sensible comme système. Bon, reset, redémarrage, la routine quoi !
Deuxième coup de téléphone "Tu n'aurais pas cinq minutes, des fois, il se passe parfois des choses curieuses sur ma machine". Connaissant mon correspondant, la seule chose curieuse dans tout cela c'est le « parfois », il est stupéfiant que ce ne soit pas toujours. C'est qu'il s'agit de la variété dite de "l'esthète taquin". Epouvanté par l'uniformité, il a installé sur sa machine tous les thèmes possibles, le pointeur de souris est un calamar, le sablier une horloge comtoise, l'économiseur d'écran (qui se déclenche toutes les minutes) est un jeu de baston intergalactique avec force sifflements et explosions. Car il a bien évidemment une carte son. Elle est indispensable pour reproduire le rire de Johnny Hallyday selon les Guignols de l'Info, qui accompagne les messages d'avertissement. Tout cela est un peu perturbant. Ayant de surcroît accès à l'Internet, il a récupéré et installé tous les sharewares possibles. Il n'y a plus aucune pièce d'origine sur sa machine, il a tout remplacé et il est seul à pouvoir s'en servir. Il est assez surprenant qu'il ne soit obligé de rebooter sa machine qu'une fois par heure. C'est un cas désespéré. Je m'en sort lâchement, en lui disant d'aller récupérer sur www.bidule.com la dernière version de son Gestionnaire de Fichiers / Explorateur / Compacteur / Logiciel de Sauvegardes / Editeur de Textes / Navigateur Internet / Interpréteur Java / Anti-Virus / FireWall, et me tire, vite fait bien fait, sans toucher à la souris de peur de déclencher un Tchernobyl dans sa machine et que les touches de son clavier sautent au plafond ! Au suivant…
Mardi 11 heures. De retour dans mon bureau, je constate le plantage d'un autre serveur NT. Par solidarité avec le premier sans doute. Probablement l'instinct grégaire ou le début d'un mouvement de revendications. A surveiller... Et faire, encore, une Fiche de Fait Technique, dûment adressée à qui de droit.
Sur un autre serveur, éloigné de quelque mille kilomètres environ, ce sont les services TéléWriter qui sont en vrac. Connexion via PC AnyWhere. Arrêt. Relance. La routine, toujours.
Autre coup de téléphone, en provenance d'une espèce bien particulière, la variété qui se shoote à la presse informatique ; on ne dira jamais assez les ravages que cela peut provoquer. Stratège planétaire, il m'explique comment l'introduction de Java et .NET dans les entreprises vont révolutionner la façon dont nous envisageons l'informatique. Comment Sun va bouffer Microsoft à condition qu'Oracle s'allie avec Apple et que Compaq et HP ne viennent pas jouer les trouble-fête ! Il me prédit la mort prochaine d'Intel victime de ses challengers, et écrasé sous son gigantisme. Au bout d'un moment, atterré par toutes ces apocalypses à venir, je ne sais plus très bien où j'habite et c'est légèrement comateux que je raccroche, en espérant ardemment que tout cela voudra bien patienter jusqu'à ma retraite, qui, au train où vont les choses, est probablement pour très bientôt.
Mardi 11 heures trente. Appel pour une imprimante réseau, de marque Kyocera, qui couine. Normal, elle est bourrée. Il suffit de tirer le papier qui s’est, une fois de plus, enfilé de travers. Et ça repart… Pas de quoi en faire une Fiche de Fait Technique.
Mardi 13 heures trente. Coup de téléphone angoissé, en provenance d'une secrétaire. "Quand je lance mon Word 2002, avec un document que j'ai tapé hier, j'ai le message suivant : cette application va s'arrêter car elle a effectué une opération non conforme". Je suis tenté de lui répondre qu'il s'agit là d’un mode de fonctionnement normal de l'application, mais je m'abstiens. Son désarroi est sincère et la perte de plusieurs heures de travail ne prête pas à rire. Cette charmante personne, au demeurant, appartient à la catégorie de ceux qui considèrent l'introduction de l'informatique dans leur quotidien comme une calamité. L’espèce de truc ronronnant qui est posé sur son bureau est, pour elle, visiblement habité par un esprit hostile et rebelle à toute collaboration avec le genre humain. Elle a bien essayé de l'apprivoiser en le banalisant, en installant un pot de fleurs sur le boîtier et la photo de ses gosses sur l'écran, mais rien n'y fait : habité d'une vie propre il s'ingénie à lui pourrir l'existence. Elle serait, je crois, soulagée, si je suspendais des gousses d'ail et des crucifix au plafond et aspergeais sa machine d'eau bénite, ainsi que le Primary Domain Controller (c'est le côté shaman de la profession).
A la vingtième tentative je réussis à charger son document sans déclencher l'infamant message de vacances pour cause de non-conformité des opérations effectuées par l'application. Il s'agissait, en fait, d'un tableau coupé par un saut de section, quelque chose de tellement grave, selon Microsoft, que cela méritait un plantage radical. Peut-être qu'une destruction totale de la machine aurait été plus appropriée… Je les trouve un peu laxistes ces temps-ci. Problème corrigé… Au suivant.
Mardi 16 heures. De suivant, il n'y en eut point ce jour-là. Je terminais ma journée tranquillement, entre deux reboot de serveurs 2003, un de services TeleWriter2 et mes travaux essentiels sur la reconversion d'un DPS en calculette. J'en étais à la soustraction, et ne désespérais pas d'arriver à la division à l'horizon 2004. J'aurai certainement besoin de 512 Téra octets de mémoire vive supplémentaire pour l'implémenter… C'est la direction informatique qui va encore râler.
C'est une certitude, demain amènera son nouveau lot de victimes. Si tous ces gens savaient qu'au fond je ne maîtrise guère plus qu'eux tout cela, que le métier est de bien peu de secours quand Word ou Excel, ou que sais-je encore, se bauge lamentablement. Le temps où une entreprise vivait sur des applications «maison» est définitivement révolu. Ah ! Je fais comme si je dominais, c'est ce qu'ils attendent de moi (c'est le côté charlatan du métier). Et puis ils ont au moins quelqu'un d'identifié à engueuler.
Quant à moi, je m'endors tous les soirs en rêvant à toutes les tortures que je ferais subir à Bill Gates si, par malchance pour lui, il venait à me tomber sous la main... Question ordinaire et extraordinaire (c'est le côté psychopathe du métier)…
A quand Windows XXX compatible Linux ?
Ce texte est, bien évidemment, à prendre au second degré (voire plus). Que Microsoft(r) et les autres Sociétés visées par ce pamphlet me pardonnent pour cet humour acide et souvent décalé.
Ingénieur Système. Je sais, je ne devrais pas m'en vanter. Lorsqu'on me demande quel est mon métier, il m'arrive de plus en plus souvent de répondre "je suis dans l'informatique". Cette vague formulation a au moins le mérite de m'éviter la lueur de haine méprisante qui apparaît instantanément dans l'œil de l'interlocuteur le mieux disposé, au simple énoncé de mes coupables occupations. Je suis lâche. La prochaine fois, je répondrai « tueur à gages », le relâchement des mœurs étant ce qu'il est, cela devrait moins choquer.
Pourtant, c'est un métier gratifiant à bien des points de vue. C'est vraisemblablement le seul où le néophyte total, celui qui vient d'ouvrir son premier carton d'ordinateur, se sent en mesure de vous expliquer votre métier dans le quart d'heure qui suit le montage de sa bécane. A ma connaissance, conduire une voiture ne transforme personne en mécanicien, pas plus que raboter une porte ne fait de vous un ébéniste. Mais, taper sur un clavier, fait de tout un chacun un informaticien... On n'arrête pas le progrès !
N'allez surtout pas croire que je veux garder pour moi les clés du savoir, et en tenir éloigné le vulgum. Que je regrette le temps où les ingénieurs système détenaient le pouvoir, abrités derrière leurs incantations absconses... Que nenni ! Bien au contraire, étant d'un naturel assez paresseux, je préfère de très loin un utilisateur qui se débrouille sans moi. Mais je reste persuadé qu'informaticien, c'est aussi un métier.
Par contre, je regrette - parfois - le temps où le travail consistait à surveiller un Vax, ceux qui ont connu cela savent à quel point c'était reposant, ou alors à rebooter une station Unix tous les trente-six du mois, pour justifier son existence. Avec l'arrivée des PC, et surtout de Windows, nous sommes entrés de plain-pied dans ce que l'on pourrait appeler l'ère du Millennium, c'est à dire l'irruption de l'irrationnel dans ce qu'il a de plus poétique et de moins maîtrisable, au beau milieu d'un monde jusque là bien tenu. En vertu d'un darwinisme élémentaire, il a bien fallu s'adapter… Aujourd'hui être IS dans notre monde merveilleux, c'est être un hybride monstrueux : un mélange aussi subtil qu'indéfinissable de guru, de sorcier, de devin, de shaman, de charlatan et de psychopathe serein.
Je ne remercierai jamais assez Bill Gates, pour avoir transformé un métier relativement terne et basé sur une approche bêtement technique et rigoureuse des faits en challenge quotidien, nécessitant une remise en question permanente à l'échelle du quart d'heure. Quoi de plus stimulant de savoir que résoudre un problème ne viendra en aucune façon enrichir ce qu'il est convenu d'appeler l'expérience, puisque le même problème nécessitera, lorsqu'il se posera à nouveau, une solution radicalement différente. On évite ainsi la sclérose intellectuelle consécutive aux automatismes. Résoudre un problème demande une imagination à côté de laquelle le récit d'un trip sous champignons hallucinogènes pourrait passer pour le compte-rendu de l'assemblée générale des actionnaires de la Société Nouvelle des Transports Interplanétaires Christin. Le cartésianisme n'est pas un atout mais un grave handicap vous empêchant d'aborder les hypothèses les plus farfelues. Pourtant, après avoir éliminé les causes raisonnables de dysfonctionnement, vous en êtes amené à envisager le reste, qui se situe généralement tout de suite entre les histoires de petits lutins et la quatrième dimension. La seule chose que je me refuse encore à pratiquer c'est l'imposition des mains et le voyage à Lourdes, plus par réaction de mécréant iconoclaste que par doute quant à l'efficacité des méthodes en question. Windows 95, 98 et NT sont déjà obsolètes. Windows 2000, Millennium et 2002 alias XP (expie ?) périmés, avant même qu’ils n’aient étés complètement finalisés et deviennent opérationnels. Je sens qu'avec l'arrivée de Windows Server 2003 - dit XS (dire excès) et de Windows Vista (dit "666") - il va me falloir opérer une révision déchirante quant à mes convictions profondes.
Quand je pense que certains recherchent les paradis artificiels, et que l'on me payait pour être en état perpétuel d'hallucination. La vie est bien injuste, allez.
Tout cela serait finalement bien monotone s'il n'y avait l'utilisateur, car il existe l'utilisateur : c'est vous et moi. Victime d'une intoxication à l'échelle planétaire, d'un gigantesque et collectif lavage de cerveau, il s'imagine qu'il va pouvoir tirer quelque chose de sa bécane, être productif, voire même, dans les cas les plus graves, envisager un retour sur investissement.
Aujourd'hui, l'utilisateur, perverti par des slogans pernicieux du style "Jusqu'où irez vous ?", exige que ça marche. Et c'est bien là où tout se gâte, le décalage entre cette légitime attente et ce que l'illuminé de Redmond est capable d'apporter me déprime. Jusqu'où irez vous ? Jusqu'à l'asile le plus proche, sans doute... Comment voulez-vous qu'un truc, qui est à un système d'exploitation ce que Mireille Mathieu est à Edith Piaf, bricolage improbable écrit avec les pieds par une nuée de pervers schizoïdes, puisse fonctionner. Le mensonge le plus grossier, colporté par les sectateurs Microsoftiens, est celui selon lequel un PC convenablement équipé de l'inénarrable Windows et du fourbi Office, dont j'ai oublié le millésime car il change en permanence, fonctionnerait seul et sans assistance.
Le récit d'une journée ordinaire au royaume du Millennium contredit quelque peu cette idyllique vision du meilleur des mondes possibles. Ce doit être une question de numéro de version, sans doute.
Mardi 8 heures trente. Le calme avant la tempête. Je peux, l'esprit en repos, me consacrer à un projet qui me tient à cœur ; programmer une calculette quatre opérations sur un DPS de la série 7000. Je tenterai l'inverse dès que j'aurai mené à bien cette partie. Mais je suis déjà dérangé par une charmante utilisatrice qui voudrait bien un tapis de souris. Ils ne sont pas livrés avec : on les tisse soi même… Ou on les commande au Pakistan, en Iran ou en Afghanistan (à éviter à cette époque).
Une autre personne a des ennuis avec logiciel récalcitrant qui se refuse catégoriquement à éditer des états sur une imprimante fictive. Un « test du singe » s’impose. Il faudra choisir un individu adapté pour cette manipulation.
Une tâche de fond s’est sévèrement vautrée sur un Binary Domain Controller. Diable ! Il faut, une fois encore, réveiller le démon. A éclaircir…
Mardi 9 heures. Un premier coup de téléphone laconique, "Tu peux venir jeter un coup d'œil, mon PC est bloqué". Sous cette apparence anodine, peut se dissimuler le cauchemar le plus absolu. Les raisons qui peuvent amener un PC à se bloquer sont légion, la première étant d'appuyer sur le bouton marche. Je suis d'autant plus inquiet que mon « client » est un dingue de la vitesse. C'est un peu l'équivalent du chauffard ; il parle de bus AGP2 là où les autres parlent de carburateur double corps, mais la démarche est la même : aller le plus vite possible en semant la terreur sur son passage. Profitant d'un instant d'égarement de son chef de service, il a réussi à se faire payer le dernier Pentium VT à 4 GHz, ce qui lui permet de gagner cinq centièmes de seconde sur la mise en pages de sa feuille de calcul. C'est comme on le voit une avancée considérable, à la mesure de l'investissement consenti… Je le trouve un peu déprimé, car on annonce déjà le Pentathlon VII a 10 GHz voire plus, et il contemple avec amertume ce qu'il considère déjà comme l'équivalent d'une caisse à savon. J'essaye de le réconforter en lui disant qu'avec la bête qu'il possède, il devrait éviter d'ouvrir deux fenêtres en même temps, pour ne pas faire de courants d'air. Une boutade bien innocente (c'est le côté guru de la profession), mais je sens bien qu'il n'y croit pas. Les grandes douleurs sont souvent au-delà des mots.
Mais revenons à nos moutons : PC bloqué. Effectivement passé le démarrage tout ce que nous obtenons c'est un sablier désespérément figé. Je suis tenté de répondre que c'est parfait pour faire des œufs a la coque, mais quelque chose dans son air égaré me dit que je ferais aussi bien de me taire. C'est alors que j'envisage du coin de l'œil un CD-ROM offert par PC Truc "Mesurez les performances de votre PC". Eh oui ! Ça ne sert à rien d'aller vite, encore faut-il pouvoir l'exprimer en Business Graphics, WinMark 2005, High-End Disk WinMark et autres CPUMark64. C'est requis, pour humilier, à l'heure du café, les ploucs avec leurs Pentium III. Je lui demande si, par le plus grand des hasards, il n'aurait pas monté ce truc là sur sa machine ? Hélas, je connais la réponse. Il est d'ailleurs mentionné en tout petit sur le CD que l'installation de cette suite de tests devrait être effectuée sur une machine quasi vierge et pas sur un système normalement opérationnel, "cela pouvant provoquer des dysfonctionnements". Tu l'as dit bouffi. Diagnostic : je t'envoie quelqu'un pour te remettre un système d'équerre celui-ci étant parti en villégiature à la campagne, pour une durée indéterminée. Rendez-vous est pris pour la parution du prochain CD de tests de PC Machin. Au suivant.
Mardi 10 heures. Juste le temps de constater le plantage d'un serveur NT. Quelqu'un a vraisemblablement éternué devant. C'est très sensible comme système. Bon, reset, redémarrage, la routine quoi !
Deuxième coup de téléphone "Tu n'aurais pas cinq minutes, des fois, il se passe parfois des choses curieuses sur ma machine". Connaissant mon correspondant, la seule chose curieuse dans tout cela c'est le « parfois », il est stupéfiant que ce ne soit pas toujours. C'est qu'il s'agit de la variété dite de "l'esthète taquin". Epouvanté par l'uniformité, il a installé sur sa machine tous les thèmes possibles, le pointeur de souris est un calamar, le sablier une horloge comtoise, l'économiseur d'écran (qui se déclenche toutes les minutes) est un jeu de baston intergalactique avec force sifflements et explosions. Car il a bien évidemment une carte son. Elle est indispensable pour reproduire le rire de Johnny Hallyday selon les Guignols de l'Info, qui accompagne les messages d'avertissement. Tout cela est un peu perturbant. Ayant de surcroît accès à l'Internet, il a récupéré et installé tous les sharewares possibles. Il n'y a plus aucune pièce d'origine sur sa machine, il a tout remplacé et il est seul à pouvoir s'en servir. Il est assez surprenant qu'il ne soit obligé de rebooter sa machine qu'une fois par heure. C'est un cas désespéré. Je m'en sort lâchement, en lui disant d'aller récupérer sur www.bidule.com la dernière version de son Gestionnaire de Fichiers / Explorateur / Compacteur / Logiciel de Sauvegardes / Editeur de Textes / Navigateur Internet / Interpréteur Java / Anti-Virus / FireWall, et me tire, vite fait bien fait, sans toucher à la souris de peur de déclencher un Tchernobyl dans sa machine et que les touches de son clavier sautent au plafond ! Au suivant…
Mardi 11 heures. De retour dans mon bureau, je constate le plantage d'un autre serveur NT. Par solidarité avec le premier sans doute. Probablement l'instinct grégaire ou le début d'un mouvement de revendications. A surveiller... Et faire, encore, une Fiche de Fait Technique, dûment adressée à qui de droit.
Sur un autre serveur, éloigné de quelque mille kilomètres environ, ce sont les services TéléWriter qui sont en vrac. Connexion via PC AnyWhere. Arrêt. Relance. La routine, toujours.
Autre coup de téléphone, en provenance d'une espèce bien particulière, la variété qui se shoote à la presse informatique ; on ne dira jamais assez les ravages que cela peut provoquer. Stratège planétaire, il m'explique comment l'introduction de Java et .NET dans les entreprises vont révolutionner la façon dont nous envisageons l'informatique. Comment Sun va bouffer Microsoft à condition qu'Oracle s'allie avec Apple et que Compaq et HP ne viennent pas jouer les trouble-fête ! Il me prédit la mort prochaine d'Intel victime de ses challengers, et écrasé sous son gigantisme. Au bout d'un moment, atterré par toutes ces apocalypses à venir, je ne sais plus très bien où j'habite et c'est légèrement comateux que je raccroche, en espérant ardemment que tout cela voudra bien patienter jusqu'à ma retraite, qui, au train où vont les choses, est probablement pour très bientôt.
Mardi 11 heures trente. Appel pour une imprimante réseau, de marque Kyocera, qui couine. Normal, elle est bourrée. Il suffit de tirer le papier qui s’est, une fois de plus, enfilé de travers. Et ça repart… Pas de quoi en faire une Fiche de Fait Technique.
Mardi 13 heures trente. Coup de téléphone angoissé, en provenance d'une secrétaire. "Quand je lance mon Word 2002, avec un document que j'ai tapé hier, j'ai le message suivant : cette application va s'arrêter car elle a effectué une opération non conforme". Je suis tenté de lui répondre qu'il s'agit là d’un mode de fonctionnement normal de l'application, mais je m'abstiens. Son désarroi est sincère et la perte de plusieurs heures de travail ne prête pas à rire. Cette charmante personne, au demeurant, appartient à la catégorie de ceux qui considèrent l'introduction de l'informatique dans leur quotidien comme une calamité. L’espèce de truc ronronnant qui est posé sur son bureau est, pour elle, visiblement habité par un esprit hostile et rebelle à toute collaboration avec le genre humain. Elle a bien essayé de l'apprivoiser en le banalisant, en installant un pot de fleurs sur le boîtier et la photo de ses gosses sur l'écran, mais rien n'y fait : habité d'une vie propre il s'ingénie à lui pourrir l'existence. Elle serait, je crois, soulagée, si je suspendais des gousses d'ail et des crucifix au plafond et aspergeais sa machine d'eau bénite, ainsi que le Primary Domain Controller (c'est le côté shaman de la profession).
A la vingtième tentative je réussis à charger son document sans déclencher l'infamant message de vacances pour cause de non-conformité des opérations effectuées par l'application. Il s'agissait, en fait, d'un tableau coupé par un saut de section, quelque chose de tellement grave, selon Microsoft, que cela méritait un plantage radical. Peut-être qu'une destruction totale de la machine aurait été plus appropriée… Je les trouve un peu laxistes ces temps-ci. Problème corrigé… Au suivant.
Mardi 16 heures. De suivant, il n'y en eut point ce jour-là. Je terminais ma journée tranquillement, entre deux reboot de serveurs 2003, un de services TeleWriter2 et mes travaux essentiels sur la reconversion d'un DPS en calculette. J'en étais à la soustraction, et ne désespérais pas d'arriver à la division à l'horizon 2004. J'aurai certainement besoin de 512 Téra octets de mémoire vive supplémentaire pour l'implémenter… C'est la direction informatique qui va encore râler.
C'est une certitude, demain amènera son nouveau lot de victimes. Si tous ces gens savaient qu'au fond je ne maîtrise guère plus qu'eux tout cela, que le métier est de bien peu de secours quand Word ou Excel, ou que sais-je encore, se bauge lamentablement. Le temps où une entreprise vivait sur des applications «maison» est définitivement révolu. Ah ! Je fais comme si je dominais, c'est ce qu'ils attendent de moi (c'est le côté charlatan du métier). Et puis ils ont au moins quelqu'un d'identifié à engueuler.
Quant à moi, je m'endors tous les soirs en rêvant à toutes les tortures que je ferais subir à Bill Gates si, par malchance pour lui, il venait à me tomber sous la main... Question ordinaire et extraordinaire (c'est le côté psychopathe du métier)…
A quand Windows XXX compatible Linux ?
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